Anti-héros par excellence, le simple soldat Wozzeck est en butte aux humiliations et manipulations d’un Capitaine, prototype du chef borné et sadique, et d’un inquiétant Docteur qui se livre à des expérimentations médicales sur lui, préfiguration de la médecine nazie.
Marie, sa compagne, vit des quelques sous qu’il lui apporte et berce leur enfant. Quand elle cède aux avances d’un beau Tambour-Major, c’en est trop pour Wozzeck qui, déjà en proie aux hallucinations, bascule dans la folie, la tue, jette son couteau dans l’étang et se noie en voulant le récupérer.
Tel est l’argument qu’Alban Berg tire du Woyzeck de Büchner (1837), drame théâtral qui le bouleverse à la veille de la guerre de 1914. De cette trajectoire tragique d’un souffre-douleur de la société, il fait l’un des opéras les plus fascinants qui soient. Par la rigueur et l’inventivité de sa construction en trois actes et quinze scènes – chacune coulée dans une forme musicale propre ! Par la diversité du traitement vocal. Par le mélange de musique savante et populaire, de langages et de climats, entre violence et sensualité, déshumanisation et humanité, univers atonal et lyrisme post-romantique, tel le grand interlude en ré mineur qui suit la noyade de Wozzeck, dont le point culminant évoque Puccini. L’opéra s’achève sur une ronde enfantine, interrompue par l’annonce de la mort de Marie. « Hop, hop !, Hop, hop ! Hop, hop ! » chante son enfant, triple interjection sous le signe de l’innocence et du tragique. De l’éternel recommencement. La création de Wozzeck à Berlin le 14 décembre 1925, sous la direction du grand Erich Kleiber, rendit Alban Berg célèbre du jour au lendemain. Le chef autrichien avait obtenu, fait incroyable, quarante-huit répétitions pour monter l’œuvre. Premier opéra atonal de l’histoire de la musique, partition inédite dans sa structure complexe et raffinée, Wozzeck surgissait comme un cri de révolte contre l’injustice de la société.