Sandra Albukrek

Une fantaisie animée pour Saint-Saëns

Au cœur du Gala du 30e anniversaire du Verbier Festival, le public a pu découvrir le film d’animation qui offrait au Carnaval des animaux valaisans, un décor d’images en mouvement. Un monde enchanté, conçu par la plasticienne et scénographe Sandra Albukrek. Portrait.

Samedi 22 juillet, 22h15 : la salle des Combins s’est vidée de son public. Sandra Albukrek est à la console de la régie pour vérifier les enchaînements des quatorze séquences du film d’animation qui accompagnera, lors du Gala du 30e anniversaire, les quatorze parties du Carnaval des animaux de Saint-Saëns. Un Carnaval revisité : valaisan, comme l’a souhaité Martin Engstroem. Dehors les animaux exotiques de la partition de Saint-Saëns ! L’âne, le cygne ou les fossiles demeurent, tout comme les éléphants, à la demande insistante de Sandra:

 

 

« Il fallait vraiment garder les éléphants ! Hannibal est passé par les Alpes avec eux ! » En revanche, adieu le lion majestueux, qui doit laisser la place à la vache des alpages suisses, dehors le kangourou, remplacé par la chèvre, ouste la tortue, éliminée au profit du loup. Eliminée ? Pas tout à fait ! Sandra Albukrek a joué avec malice au jeu des chaises musicales entre les animaux de Saint-Saëns et la faune du Valais. Par d’ensorcelantes métamorphoses ou d’amusants clins d’œil, la dessinatrice fait ressurgir subrepticement dans ses images les animaux supprimés. Ainsi le merveilleux défilé de tortues, le temps d’un rêve plein de fantaisie : tortue engendrée de la lune, puis tortue-french-cancan véhiculant sur son dos rien moins que le Moulin Rouge et même les courbes Art Nouveau de l’entrée Guimard d’une station de métro voisine. « La partition de Saint-Saëns reprend, dans un tempo lent, incroyablement étiré, un air de french cancan. Je me suis amusée avec cette référence. »

L’imagination est au pouvoir dans le film de Sandra et l’on se régale, autant des couleurs que de l’hybridité fantastique des figures qui passent :

(suite en bas de page)

Highlights

Sandra Albukrek

Créer de la rêverie


tels les poissons de l’aquarium (ici un lac) de Saint-Saëns devenus poissons instruments de musique, poissons clarinette ou poissons à tête de violon.

Née à Istanbul, ancienne élève des Arts Décos de Paris, Sandra Albukrek vit aujourd’hui à Genève. Ayant grandi dans une famille mélomane, où toujours passaient des musiciens professionnels, elle ne conçoit pas son travail sans la musique. Passionnée dès sa jeunesse par la scène musicale et le ballet, elle a signé notamment la conception scénographique du spectacle Nefés de Pina Bausch. « Travailler avec Pina a été une expérience inoubliable, une école de création et de rigueur ». « Je cherche à créer de la rêverie » poursuit Sandra Albukrek, « que ce soit dans la construction d’énormes décors pour la scène, l’illustration de livres, ou les films d’animation qui répondent à mon désir de donner vie à mes dessins. Il m’a fallu sept mois pour les 205 peintures, les quatorze storyboards et la direction d’animation du Carnaval des animaux valaisans. Le secret de la réussite d’un film d’animation est la complicité créé dans le travail d’équipe entre le réalisateur et l’animateur, et pour ce film, ma dernière réalisation, je remercie mon excellent animateur Leandro Basso. »


Sandra Albukrek a laissé aller son imaginaire à partir de la musique. Un imaginaire prolifique, nourri par des heures de recherche en tous genres : représentations de la vache à travers le temps et l’espace (Antiquité, Egypte, Inde), art aborigène, cabinets de curiosité. Sans oublier l’herbier des Alpes pour les fleurs que Sandra a choisies « non seulement pour leur beauté mais aussi leurs vertus : arnica, pissenlit, millepertuis. Car il faut que tout fasse sens, n’est-ce pas ? ».

Avec l’onirique séquence consacrée au cygne, qui se rappelle Andersen et son Vilain petit canard pour nous faire glisser sur un lac au milieu de brumes vaporeuses, la séquence de l’aquarium est l’une des plus enchanteresses : un oiseau — Martin-pêcheur — plonge sous la surface pour y attraper, au milieu des poissons, des algues et d’un kiosque à musique, une étoile de mer. Laquelle, sitôt l’oiseau ressorti, devient étoile dans le ciel, bientôt rejointe par une constellation d’astres.

« C’est mon hommage à Martin Engstroem, précise Sandra. Est-ce que lui aussi ne va pas chercher de jeunes talents qui deviennent des stars et remplissent notre ciel ? Il m’a laissé absolument carte blanche pour ce travail, et je lui en suis d’une infinie gratitude. Disposer d’une telle liberté et d’une telle confiance est la plus belle des expériences pour un artiste. » Le film se referme sur une pluie de fleurs, métaphore colorée des applaudissements qu’elle accompagne comme d’autant de pétales silencieux.

Laetitia Brancovan

Ricola

Alexandre Barrelet

La RTS et le Verbier Festival : déjà trente ans de fidélité

« Je me souviens de la première édition du Verbier Festival, j’étais alors jeune journaliste. Il y avait encore peu de médias, mais la RTS et plus particulièrement sa radio Espace 2, avaient d’emblée fait confiance à Martin Engstroem et à son projet. Depuis, nous montons chaque année avec nos équipes de preneurs de son, nos producteurs musicaux et nos journalistes pour couvrir l’événement et enregistrer des concerts.

Nous les diffusons en direct ou plus tard dans la saison. Ils peuvent être réécoutés en replay sur notre site. Nous appartenons par ailleurs à l’Union Européenne de Radiodiffusion (UER), un réseau d’une soixantaine de radios qui, chaque printemps, organise une grande bourse d’échanges. Cet organisme généreux permet aux radios qui disposent de moins de moyens, ou qui se trouvent dans des pays où l’offre musicale est moindre, de diffuser les concerts de pays européens plus riches en la matière. Pour le Verbier Festival, nous sommes ainsi une porte d’entrée sur toutes les radios européennes, en particulier France Musique, Musiq3 (RTBF), ou la BBC, mais beaucoup d’autres aussi.

À l’occasion de la trentième édition du Festival, nous avons mis les petits plats dans les grands en consacrant un magazine télévisé au Verbier Festival la veille de la soirée d’ouverture. Pour la radio, nous captons cet été vingt concerts qui sont présentés, souvent en direct depuis les Combins ou depuis l’Église, par notre journaliste Julian Sykes. Ce dernier réside à Verbier pendant toute la durée du Festival. À travers les chroniques qu’il nous envoie, nous rendons compte au jour le jour de la vie musicale à Verbier. À mes yeux, le partenariat entre le Verbier Festival et la RTS est la conjonction fructueuse d’un projet musical et éducatif riche avec un vrai service public de radio. Notre souhait est de pouvoir faire profiter de la richesse et de la diversité du Verbier Festival à toute la population de Suisse Romande. »

Alexandre Barrelet
Chef d’antenne RTS-Espace 2, Unité Culture

Pour réécouter les concerts :

Lien sur RTS Podcast

Richard Goode

La lettre, et cætera

« Il faut plus qu’une grande technique ou des capacités musicales pour être un grand musicien » selon Richard Goode. Une partition, à l’instar d’un texte, doit en effet être comprise à travers ses idées intrinsèques afin de trouver la meilleure transmission possible aux destinataires d’une interprétation.

Sur les conseils de Leonard Bernstein, le pianiste new-yorkais suit dès lors une carrière internationale, notamment ponctuée par un Grammy Award pour son enregistrement des Sonates pour clarinette et piano de Brahms avec Richard Stoltzman. Son trac et sa timidité retardent pourtant l’échéance de ses récitals solos publics jusqu’à la quarantaine (après plus de deux décennies chambristes), à l’occasion d’une intégrale des Sonates de Beethoven à New York, corpus qu’il enregistre au début des années 90. Le compositeur de Bonn, à la musique « immensément puissante et positive » et le Hambourgeois Brahms stimulent le musicien, aux côtés d’autres Allemands tels que Bach. Ces trois B germaniques sur plus d’un siècle constituent le fil rouge de ses deux concerts cette semaine à Verbier, l’un consacré à quelques Bagatelles et aux 33 Variations sur une valse de Diabelli de Beethoven, l’autre avec le violoncelliste Steven Isserlis.

Pour rien au monde il n’écouterait ses propres lectures, de peur de ne pas être d’accord a posteriori avec ses explorations instrumentales. Du côté de la méthode, c’est l’exactitude de la portée qui stimule Richard Goode, dans le tempo comme dans les articulations. Il juge même qu’une exécution peut difficilement atteindre le degré initial d’audace et de richesse de l’écriture. La vérité le rend en quelque sorte plus libre : chaque oeuvre se présente à la manière d’un nouveau commencement, sans dogme prédéfini.

« N’importe quelle pièce musicale est un tout. La musique est musique » dit-il parfois. Il est d’ailleurs particulièrement touché par les pianistes qui trouvent « le centre de la musique et du sentiment musical », autour duquel « tout le reste semble ensuite se former, pour ainsi dimensionner l’oeuvre ».

Il ne conçoit par ailleurs pas son métier sans l’enseignement, moteur dans sa compréhension musicale, aussi bien sous la forme de cours magistraux ou individuels que de masterclasses. Avec son rôle de mentor à la Verbier Festival Academy, il voit se succéder les talents de demain pour faire émerger les idées et ainsi perpétuer une certaine tradition de la « restauration pianistique éclairée », fidèle à la lettre et ouverte à tous les possibles.

Mari Samuelsen

La curiosité sans limites

Après d’ébouriffantes Quatre Saisons revisitées par Max Richter au coeur des alpages de La Chaux samedi dernier, la violoniste norvégienne Mari Samuelsen investit mercredi le sous-sol intime du Taratata, pour un programme signature à la croisées des époques.

VVotre dernière venue au Verbier Festival remonte à une vingtaine d’années…
J’étais alors étudiante à l’Academy et avoir tous ces artistes merveilleux rassemblés dans un si petit endroit me semblait presque irréel. J’y ai bénéficié de nombreuses masterclasses et assisté à quantité de concerts, ce qui m’a ensuite accompagnée toute ma vie.

Vous revenez cette fois dans le cadre de la série Unltd pour une carte blanche…
Oui, pour moi qui ai l’habitude de concevoir des programmes, la série me correspond tout à fait. Cette soirée est une invitation à rentrer dans mon univers : je suis beaucoup dans le minimalisme et apprécie les liens qu’il entretient avec le répertoire baroque que j’adore. J’y jouerai du Max Richter, dont la musique fait un peu partie de mon ADN, ainsi que des pièces allant de Hildegard von Bingen à Caroline Shaw, jeune compositrice américaine, en passant par Philip Glass, Hildur Guðnadóttir que le public connaît par ses musiques des films Joker ou Sicario, Meredi, de l’univers minimaliste, et Lera Auerbach.

Au-delà de pièces solos et comme j’aime travailler avec d’autres instrumentistes à cordes, j’aurai à mes côtés deux quintettes différents composés de musiciens de l’Academy, mais aussi Pedja Mužijević, au piano, dont l’approche artistique globale, pas seulement musicale, m’enthousiasme profondément.

Vous êtes très attachée à déplacer la musique classique hors des salles de concert traditionnelles…
Cela est nécessaire si l’on veut assurer le public de demain, d’autant après le Covid, car malgré les plus belles retransmissions, je ne crois pas que la musique puisse survivre sans live. J’aime jouer dans des lieux comme le Taratata où l’atmosphère est détendue et les gens présents en vue de passer un bon moment. J’adore la proximité qu’il offre avec les artistes.

Le Verbier Festival célèbre cette année son 30e anniversaire. Que pouvez-vous lui souhaiter ?
Trente années supplémentaires d’inspiration et d’épanouissement ! Il a déjà su tant se développer, notamment avec cette série UNLTD si inspirante pour des musiciens comme moi. Je lui souhaite de continuer à être le centre de la planète musicale du coeur de l’été, où se rassemblent à la fois les légendes et les talents de demain.

Propos recueillis par Anne Payot-Le Nabour